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Le GEMRC dans la Bataille de Normandie

par le capt (ret) Dave Nicolle, CD, le bgén (ret) Scott Kennedy, CD et Kimberly Moynahan

La bataille de Normandie fut la première étape de la libération alliée du nord-ouest de l'Europe. Elle débuta avec le débarquement du 6 juin 1944 et se poursuivit tout au long d'un été de violents combats jusqu'à la fin août, lorsque l'armée allemande fut contrainte de se retirer de France. Les Canadiens jouèrent un rôle central : ils prirent Juno Beach le jour J, combattirent dans la ville de Caen et contribuèrent à la fermeture de la poche de Falaise, qui prit au piège des dizaines de milliers de soldats ennemis.

Derrière chaque avancée se trouvait la machinerie de guerre – chars, transporteurs, camions et canons – qu'il fallait maintenir en mouvement malgré des conditions difficiles. Quelques semaines seulement avant le jour J, en mai 1944, l'Armée canadienne créait le Corps du génie électrique et mécanique royal canadien (GEMRC) dont la mission était claire : récupérer et réparer les véhicules endommagés, et adapter l'équipement et les armes aux besoins du champ de bataille.

La Normandie fut le théâtre du premier test du Corps. Les techniciens du GEMRC travaillaient près des lignes de front, souvent sous le feu ennemi, accomplissant des tâches qui allaient bien au-delà de l'entretien de routine. Les équipes de dépannage retiraient des chars Sherman hors d'usage de la boue. Les mécaniciens réparaient les moteurs et les boîtes de vitesses au bord de la route. Les armuriers et les soudeurs adaptaient le matériel aux conditions du bocage. Les ateliers devinrent des chaînes de conversion pour des types de véhicules entièrement nouveaux.

La bataille de Normandie a permis de démontrer au-delà de tout doute le caractère indispensable du GEMRC. Les unités canadiennes pouvaient compter sur leurs artisans pour maintenir les véhicules, les armes et l'équipement en état de marche, trouvant souvent des solutions lorsque les manuels faisaient défaut.

Trois histoires en particulier illustrent l'impact crucial du GEMRC sur le succès des Alliés en Normandie : un commandant d'atelier qui a transformé des véhicules d'artillerie chenillés en véhicules blindés de transport de troupes; un sergent de récupération qui a utilisé ses équipes de récupération de véhicules pour livrer du ravitaillement sous le feu ennemi; et un commandant d’équipe de dépannage qui, avec son équipe de soldats-techniciens, a mené à bien des récupérations audacieuses au cœur des combats acharnés dans la campagne normande.


Major George Wiggan, MBE

Commandant, Atelier No 2 des troupes blindées, GEMRC

En août 1944, alors que l'opération Totalize se profilait au sud de Caen, les forces canadiennes se retrouvèrent confrontées à un problème : comment faire avancer l'infanterie sous blindage? La solution fut de convertir des canons automoteurs américains M7 Priest en véhicules blindés de transport de troupes.

L'ordre fut transmis au major George Wiggan, qui commandait l'atelier des troupes blindées canadiennes n° 2 à Aunay-sur-Odon. Son unité du GEMRC était spécialisée dans la réparation de véhicules lourds, mais elle ne disposait que de cinq jours pour mener à bien un vaste projet de conversion. Le major Wiggan rassembla des ouvriers de quatorze unités canadiennes et britanniques au sein d'un détachement d'atelier avancé, regroupant mécaniciens, armuriers, soudeurs, machinistes, ajusteurs, électriciens et équipes de dépannage.

Le travail était improvisé. Les canons et les râteliers de munitions étaient démontés, le blindage remodelé et les affûts de mitrailleuses façonnés. Les soudeurs taillaient des barreaux d'escalade dans les coques et boulonnaient des bancs dans le compartiment de combat. Les électriciens réacheminaient le câblage pour que l'éclairage et les interphones fonctionnent toujours. Chaque tâche exigeait une appréciation ponctuelle, car aucun plan n'existait.

Un M7 Priest américain transformé en véhicule blindé de transport de troupes « Kangaroo ». En août 1944, les ouvriers de l'atelier du major Wiggan transformèrent soixante-dix-huit Priest en seulement cinq jours.

Crédit : Bibliothèque et Archives Canada

L'atmosphère de l'atelier était intense. Aunay avait été dévastée par les bombardements quelques semaines plus tôt, mais au milieu des ruines, les équipes travaillaient jour et nuit, les véhicules de dépannage transportaient les Priest et sortaient les transporteurs de troupes terminés. Les torches des soudeurs éclairaient les décombres tandis que les équipes se relayaient, le major Wiggan encourageant le processus.

Le 6 août, soixante-dix-huit Priest avaient été transformés en véhicules blindés de transport de troupes, bientôt surnommés « Kangarous ». Deux jours plus tard, l'infanterie canadienne et britannique menait ces Kangarous au combat lors de l'opération Totalize, avançant avec une protection indispensable contre les tirs de mitrailleuses et de mortiers.

Les Kangourous n'étaient pas seulement une innovation technique : ils ont offert aux forces canadiennes et britanniques une nouvelle façon de combattre. Pour les fantassins qui les embarquaient, cela signifiait traverser des terrains découverts sous la protection d’une carcasse en acier plutôt qu'à pied, et atteindre les objectifs en meilleure condition avec moins de pertes.
 
La citation du major Wiggan, MBE, louait son « enthousiasme, son initiative et sa force de caractère », mais l'exploit était collectif : les artisans du GEMRC adaptaient leurs outils et leurs compétences pour livrer les premiers Kangourous depuis des jours. Leur travail à Aunay a démontré ce que le Corps du GEMRC pouvait accomplir sous pression : transformer des véhicules à chenilles en atouts de première ligne qui ont façonné le cours des batailles.

En savoir plus sur Wiggan et les Kangarous.


Sergent Charles Fielding, MM

Commandant de la section de récupération, 21e Régiment blindé (Governor General’s Foot Guards), GEMRC

« Notre mission consistait essentiellement à les récupérer. Nos chars s'enlisaient dans le marécage, la boue, etc., et notre mission consistait à les dégager ».
---- Sergent Charles Fielding, MM

Le 9 août 1944, lors de l'opération Totalize, les Governor General’s Foot Guards tenaient le point 195, près de Falaise, face à des contre-attaques allemandes déterminées. Les munitions et le carburant commençaient à s'épuiser dangereusement. Les abords de la colline étaient balayés par l'artillerie et les tirs antichars. Un ravitaillement normal était impossible.

Le sergent Charles Fielding, commandant de section du GEMRC, décida d'agir. Son expertise résidait dans la récupération : il dirigeait sa section de trois véhicules blindés de récupération (VBR) et leurs équipages, dont le rôle était de remorquer les chars hors d'usage en lieu sûr. Ce jour-là, la récupération allait devoir attendre.

Le sergent Fielding ordonna que ses VBR soient débarrassés de l'équipement inutile. Avec ses équipages, il chargea des caisses de munitions et des jerrycans de carburant. Le blindage et les chenilles des VBR leur conféraient une meilleure résistance qu'un camion. Puis ils se mirent en route vers la colline.

Un véhicule blindé de récupération (VBR) Sherman au sud de Caen, juin 1944. Le sergent Fielding et son équipe du GEMRC ont utilisé un VBR comme celui-ci pour livrer des munitions et du carburant sous le feu ennemi à la cote 195.

Crédit : Bibliothèque et Archives Canada

Sous le commandement du sergent Fielding, les équipages effectuèrent trois allers-retours sous les tirs d'obus, livrant suffisamment de ravitaillement pour maintenir deux escadrons en action. Chaque passage était périlleux, les canons de 88 millimètres surveillant les approches, mais à chaque fois, les VBR réussirent à passer au travers. Les livraisons permirent au régiment de tenir le point 195 et de repousser d'autres attaques.

Cette action démontra l'adaptabilité et la combativité des hommes de métier du GEMRC. Les équipes de récupération étaient formées au remorquage de véhicules endommagés inutilisables et à l'utilisation de treuils, et non à la conduite de convois de ravitaillement. Pourtant, ces mêmes compétences – maniement de véhicules lourds, improvisation sous pression – permirent de livrer des fournitures essentielles aux troupes sous le feu ennemi, en première ligne de l'opération Totalize.

Le sergent Fielding a reçu la Médaille militaire pour son courage et son esprit d'initiative. Son histoire n'est pas celle d'un héros solitaire, mais celle d'une équipe de récupération dirigée par un sous-officier qui a utilisé l'équipement de son métier de manière originale pour répondre aux besoins du champ de bataille. Leur travail a permis aux blindés canadiens de rester en action à un moment décisif en Normandie. Le sergent Fielding et son équipe ont incarné la devise du GEMRC : Arte et Marte… par l’habileté et le combat!

Les terres agricoles ouvertes et la visibilité dégagée de la cote 195 rendaient les blindés et l'infanterie canadiens vulnérables aux tirs allemands. Les innovations du GEMRC, comme le Kangourou, et les équipes de récupération comme celle du sergent Fielding, étaient essentielles pour tenir la position.

Crédit : Lcol (ret) Tim Caines/Avery Caines, 2025 


Capitaine L.G. Rupert, MC

Commandant, Équipe de dépannage, GEMRC

Chaque régiment blindé canadien était déployé avec une équipe de dépannage (LAD), soit une vingtaine d'hommes de métier du GEMRC équipés de camions, d'outils et de trois véhicules blindés de récupération (VBR). Leur tâche consistait à assurer les réparations et la récupération immédiates afin de préserver la puissance de combat au cœur des combats.

En août 1944, le capitaine Lloyd George Rupert commandait l’équipe de dépannage des Canadian Grenadier Guards pendant l'opération Totalize. Lorsque le régiment se retira de la cote 195, trois Sherman en état de marche furent laissés sous la surveillance de l'ennemi. Des obusiers antichars allemands de 88 mm couvraient le terrain et des tirs de mortier balayaient la zone. Abandonner les chars signifierait la perte définitive de précieux véhicules de combat.

Le capitaine Rupert fit personnellement une reconnaissance pour trouver une approche sûre, puis dirigea ses équipes de récupération vers l'avant. Les câbles furent tirés, les manilles fixées et les treuils actionnés tandis que les obus explosaient autour d'eux. Sous sa supervision, les trois chars furent ramenés dans les lignes canadiennes – de précieux véhicules de combat qui auraient autrement été perdus.

Ce ne fut pas un événement isolé. Plus tard, en Hollande, à Wouwse Plantage, le LAD du capitaine Rupert récupéra des chars endommagés par des mines sous les tirs de mortiers et de mitrailleuses. À la brèche de Hochwald, en mars 1945, on lui attribua le mérite d'avoir maintenu son régiment en état de combat en supervisant les réparations, les récupérations et les modifications.

Un véhicule blindé de récupération (VBR) Sherman, à Authie, en Normandie, en France, en juillet 1944. L’équipe de dépannage du capitaine Rupert utilisa des VBR pour récupérer les chars hors d'usage et maintenir les Sherman de son régiment en service.

Crédit : Bibliothèque et Archives Canada

Pour ses actions lors d'opérations dans le nord-ouest de l'Europe, le capitaine Rupert reçut la Croix militaire. Sa citation soulignait son leadership et reflétait la capacité de ses techniciens du LAD à effectuer des réparations, à récupérer du matériel, à apporter des modifications et à entretenir les canons, permettant ainsi au régiment de déployer le maximum de chars.

L'histoire du capitaine Rupert illustre la valeur des LAD : mécaniciens, armuriers, soudeurs et autres qui, sous le feu ennemi, remettaient en service des véhicules en état de marche. Leur contribution faisait rarement la une des journaux, mais elle signifiait que les blindés canadiens continuaient de combattre alors qu'ils auraient pu autrement faiblir.


Le prix de la victoire

Ces récits mettent en lumière trois officiers ingénieurs et soldats techniciens du GEMRC qui ont fait preuve d'un courage et de compétences techniques exceptionnels tout en contribuant de manière significative à la victoire des Alliés en Normandie. Alors que nous célébrons leurs exploits et ceux de leurs collègues, nous devons nous souvenir que d'autres parmi les centaines de soldats du GEMRC qui ont pris part à cette campagne n'ont pas pu célébrer la victoire.

L'artisan Norman Symington, du GEMRC, a été la première victime du Corps lors de la campagne de Normandie. Il a été tué le 7 juin 1944, lors du débarquement sur la plage Juno, alors qu'il servait dans le Regina Rifles Regiment. L'un des 14 000 Canadiens qui ont débarqué ce jour-là, l'Artisan Symington repose aujourd'hui au cimetière militaire canadien de Bény-sur-Mer, parmi les nombreux soldats tombés au combat au début de la libération de la France.

Pour en savoir plus sur l'Artisan Symington, consultez le Livre du Souvenir du GEMRC et le Mémorial virtuel de guerre du Canada.

Conclusion

La bataille de Normandie a été un terrain d'essai pour le nouveau Corps du génie électrique et mécanique royal canadien. Dans les ateliers, dans les véhicules de dépannage et sur le terrain aux côtés de l'infanterie et des blindés, les artisans du GEMRC ont démontré que les batailles ne pouvaient être gagnées uniquement par la puissance de feu : il fallait aussi que les machines restent opérationnelles.

Les artisans du major Wiggan ont transformé l'artillerie à chenilles en véhicules blindés de transport de troupes. Le sergent Fielding et ses équipes de dépannage ont transformé leurs véhicules en bouées de sauvetage pour les troupes assiégées. Le détachement d'aide légère du capitaine Rupert a ramené les chars sous le feu et les a renvoyés au combat. Chaque histoire illustre un mélange différent de métiers et de tâches du GEMRC, mais ensemble, elles montrent la force caractéristique du GEMRC : son adaptabilité et son attitude positive.

La Normandie a prouvé que le GEMRC était plus qu'un service de soutien. Il était un multiplicateur de combat, garantissant aux unités canadiennes l'équipement et la mobilité nécessaires pour continuer à se battre. Illustrant sa devise Arte et Marte — par son savoir-faire et son esprit combatif —, le GEMRC a laissé son empreinte sur la victoire des Alliés en France.